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Le «Neuchâtel» un bateau centenaire, mais tout neuf!

par Sébastien Jacobi, membre fondateur de la société Trivapor

21 mai 2014

 

Pierre-Henri Béguin, président du Musée de l'Areuse, constate que certains viennent au monde pour vivre et d’autres viennent au monde pour vivre passionnément! Lui, Sébastien Jacobi, il est né avec une locomotive dans le cœur! Et il doit pouvoir dire combien il y a de rouages dans une crocodile.

Il a été porte-parole des CFF, retraité depuis 16 ans. Il est aussi un des fondateurs de l’ANAT à Boudry, membre fondateur de la société Trivapor, société créée il y a une quinzaine d’années déjà pour sauver ce bateau à vapeur, le Neuchâtel, pendant 45 ans à la retraite et qui navigue maintenant pour notre bonheur et donne une belle silhouette au lac. Un centenaire, mais tout neuf.



Pour commencer son exposé, Sébastien Jacobi lance: «Je vais vous mener en bateau ce soir!»

La navigation à vapeur démarre au début du 19e siècle: le premier bateau à vapeur vogue en 1807 sur l’Hudson, aux USA. Il y a eu de nombreux prototypes avant, mais ils n’ont jamais bien fonctionné. Pas seulement en raison de problèmes techniques, mais aussi à cause des craintes exprimées par les voyages face à la vapeur. En plus, il y avait des problèmes économiques.

Et finalement, il y avait des cochers qui voulaient garder leurs prérogatives: les bateaux pouvaient transporter beaucoup de marchandises, donc à meilleur compte.

 

Quelques bateaux historiques

C'est en 1823 que le lac Léman accueille son premier vapeur, construit sur recommandation du Consul des Etats-Unis à Paris.


En 1826, le premier bateau à vapeur est lancé sur le lac de Neuchâtel: l’Union (26,5 mètres), construit à Yverdon (enfin... reconstruit à Yverdon parce que construit à Bordeaux avec une coque en bois). Il a navigué durant  deux ans seulement, parce qu’il y avait des problèmes techniques et que l’équipage n’était pas au point. En 1828, il a été sévèrement endommagé par un incendie.



Le canal de la Thielle n'existant pas encore, il y avait des problèmes de niveau d’eau d’Yverdon à Nidau. Fréquemment, le niveau n’était pas assez élevé et le bateau s’échouait. On déchargeait alors les marchandises et les passagers, on faisait avancer le bateau, puis on rechargeait tout.

A l’époque, la ville de Bienne était très éloignée du lac. C’est pourquoi les bateaux s’arrêtaient à Nidau. Mais Nidau et Bienne n’avaient pas de bateaux, alors que Cerlier en avait un, Neuchâtel et Morat aussi. Ils ont donc acheté un petit bateau pour assurer le service intérieur jusqu’à Bâle. En 1891, il s’appelait Rhein, rebaptisé Morat (1898-1922).

Le deuxième bateau du lac de Neuchâtel est l’Industriel (1834) de Philippe Suchard, bateau en fer (on l’a pris pour fou de vouloir faire flotter du fer). Il allait plus vite que l’Union. Ce bateau a une voile, prescription à l’époque en cas de panne pour que le bateau puisse arriver à bon port. Mais un jour de gros temps du côté de Cortaillod, le mât s’est cassé et la voile s’est enroulée autour des roues à aubes.


L’Industriel a navigué longtemps, mais on ne sait pas jusqu’à quand. Il a été vendu à un Soleurois et naviguait entre Yverdon et Nidau. Ensuite, il a été vendu aux tourbières de Hagneck. Un tunnel avait été percé à travers la vallée et on y faisait passer la tourbe qui était ensuite chargée sur le bateau. En perçant le tunnel, ils ont trouvé des vestiges romains.

Lors de la correction des eaux du Jura en 1870, le canal a pris le tracé du tunnel. On a vu des annonces de mise en vente de l’Industriel du côté de Genève, mais de là on perd sa trace. Certains disent qu’il a été coulé pour des questions d’assurance...

Le Cygne I, 1852-1896, renommé Jura I en 1896, est de fabrication suisse (Escher-Wyss). Il a changé de nom parce que, lors d'une promenade du soir en 1891, il est entré en collision avec le Mutin qui a coulé avec toute une famille de Neuchâtel. Sous le nom Jura, il a vogué de 1896 à 1921. Au fil du temps, il a passé de 34,35 mètres à 37,35 mètres.



Le Jura II était un bateau à diesel. Avant, les bateaux à vapeur fonctionnaient toujours au charbon. Le charbon était stocké sous la place du Port, là où il y a un restaurant aujourd’hui. Il fallait charger le charbon ensuite dans la soute, et bien l’équilibrer. Pour obtenir assez de vapeur, il fallait chauffer longtemps à l’avance, tandis que le Jura et son diesel partaient «au quart de tour».

D'autres bateaux ont vogué quelques années sur notre lac: le Jura I (1854-1861), le Jean-Jacques Rousseau (1855-1858), l'Hirondelle (1856-1858), le Pélican (1856-1858), le Mercure (1857-1865), la Flèche (1856-1865) ...

Le Gaspard Escher (1858-1913) porte le nom du constructeur des bateaux. On a même obtenu un rabais pour avoir mis le nom du constructeur sur le bateau. Quand le chemin de fer a relié le Léman au lac de Neuchâtel en 1855, on pouvait aller en une journée de Genève à Soleure: en train de Morges à Yverdon, puis avec le Cygne de Neuchâtel à Nidau, puis avec le Stadt Solothurn de Nidau à Soleure.


Il a été renommé Helvétie II en 1913 et a vogué jusqu’en 1924. Lui aussi s'est allongé et a passé de 42,2 mètres à 45,3 mètres.

L'Helvétie I était constitué de salons dans la moitié de sa longueur. Les chemins de fer, qui avaient créé la ruine de la navigation, ont aussi apporté des touristes. L'Helvétie I a vogué de 1881-1912, puis a été renommé Yverdon, nom sous lequel il a encore vogué jusqu’en 1960 (donc durant 79 ans au total).



Son changement de nom n'est pas dû à un malheur comme pour le Cygne: deux bateaux portaient le nom d’une ville d'un canton portuaire, le Neuchâtel et le Fribourg. Mais le canton de Vaud se sentait frustré et pour lui faire plaisir on a changé le nom de l’Helvétie en Yverdon.

Le Hallwyl (1869-1955) a passé de 34,7 mètres à 39,2 mètres. Il n’était pas, à l'origine, tout à fait plat de l’avant à l’arrière. Il a été coupé par la suite et allongé de quelque 4 mètres. C’est le Hallwyl qui a amené les troupes à Morat en 1870. Aujourd'hui, le Hallwyl rouille dans le canal  de la Thielle.


Le Fribourg I (1913-1965) est le frère jumeau du Neuchâtel. Ils ont été construits pour aller de Bienne à Yverdon, en 1913. En 1914, il y a la mobilisation générale, et les touristes disparaissent.

Ce service aura donc duré deux ans et n’a jamais repris. Ces deux bateaux ont été alors utilisés pour les excursions du dimanche. On préférait le Hallwyl pour tous les jours.



La Mouette (1938) est un bateau à diesel. Il est actuellement un bateau-résidence sur la Tamise à Chelsea.

Le Neptune était un petit vapeur acheté par Bienne et naviguant sur le lac de Bienne. Après quelques mois de service seulement, une équipe est partie à Auvernier manger le poisson. Ils ont fait cap sur l’île Saint-Pierre où ils ont bien bu et bien dansé. Le patron leur a conseillé de repartir, parce qu’un gros temps était annoncé. Mais... le bateau a sombré avec 15 personnes à bord. Deux seulement ont pu être sauvées.


On a voulu le renflouer, mais il était trop profond. Monsieur Favre de La Neuveville, avec deux grosses barques et une grosse chaîne pour localiser l'épave, a remonté le bateau avec une énorme pince.

Longtemps, cette pince est restée derrière la poste de La Neuveville et subitement quelqu’un a trouvé que c’était une vieillerie et la mise à la ferraille.

Le Fribourg I, racheté par un restaurateur, est une annexe de l’hôtel Saint-Louis à Portalban, hors de l’eau.

Quatre bateaux s’appelleront Jean-Jacques Rousseau. L’actuel s’appelle seulement le Rousseau.

L'Yverdon arrivant au port un jour de cérémonie.
     

Le Berna.

L'Helvétie II.

Le Hallwyl débarquant une vache et des boilles
de lait dans le port de Neuchâtel. Quand le
bateau arrive, Neuchâtel se transforme en
marché flottant.



Le Stadt Biel.

Il y a eu jusqu’à 13 bateaux à vapeur sur nos lacs en même temps vers 1855. Mais en 1860, les trains commencent à longer les lacs et les bateaux font faillite.

Le canton de Fribourg s’empresse d’acheter deux bateaux, le Cygne et le Gaspard Escher, pour assurer un service local sur le lac de Neuchâtel en passant par Estavayer et Portalban.

M
orat veut son propre bateau et lance le Hallwyl en 1869.

En fait, toutes les compagnies se faisaient concurrence. Elles ont fusionné en 1872 et la SNLNM a été créée. Mais il y eut bataille entre Morat et Estavayer, car chaque ville voulait avoir les bateaux chez elle. En réalité, l’emplacement le meilleur était Neuchâtel. Le gérant (on ne parlait pas de directeur à l’époque) devait apporter une caution de 1'000 francs, c’est-à-dire environ 100'000 francs d’aujourd’hui.

 

Le Neuchâtel

Le Neuchâtel ne fonctionnait plus au charbon, mais au diesel. Fin 1968, la chaudière est considérée comme hors d'usage. Les réparations sont estimées à 100'000 francs. La compagnie a préféré acheter un autre bateau coûtant un million de francs et le Neuchâtel a été vendu. L’acquéreur voulait en faire un casino flottant, mais il n'a pas reçu les autorisations nécessaires. Le bateau est donc devenu un restaurant. Il a été profondément modifié: les machines ont été retirées et la chaudière détruite. On a agrandi le pont pour faire un grand restaurant. Un escalier a été construit pour descendre au bar.

En 1999, l'UBS met en vente le bateau dans le cadre d'une liquidation.


Le Neuchâtel, construit en 1911, est long de
48,5 mètres. A l'origine, il pouvait transporter
550 passagers (maintenant limité à 300). Il a
cessé de voguer en 1968, puis est devenu un restaurant flottant en 1972.

Denis Barrelet pense qu’on peut le faire flotter à nouveau. Le temps qu'il fonde une association, le bateau était déjà vendu pour devenir à nouveau un restaurant. La décision est prise de maintenir l’association dans le cas où le bateau serait remis en vente, afin d'être prêts à le reprendre.

Durant l'Expo.02, un dépliant a été distribué. L'association compte alors 200 membres. Et un beau jour, on trouve une machine à vendre à Rotterdam. Deux spécialistes vont la voir et la trouvent exactement de la même dimension que la précédente. Elle coûte 300'000 francs. Denis Barrelet reçoit un coup de téléphone d’un gars qui demande à le rencontrer. Il avait entendu parler de Trivapor par une Américaine dont il s’était occupé du chien. Cette dame avait fait une excursion sur le lac de Thoune, sur le Blümlisalp, où le nom de son ami figurait parmi les donateurs. Elle a acheté une carte postale au stand Trivapor pour l’écrire à son ami. C'est ainsi que le monsieur venait annoncer qu'il allait avancer la somme.

Sur le Chiemsee vogue un bateau à vapeur. En 1972, dans un but de rationnalisation, la compagnie installe un moteur diesel. Et ils offrent l’ancienne machine à un musée. Cette machine a été ensuite achetée par un type de Rotterdam, mais comme il a entre-temps trouvé un bateau complet, il a décidé de revendre la machine. Trivapor l’a achetée... sans encore avoir de bateau!

Le Neuchâtel était loué 10'000 francs par mois au restaurateur et pendant l’Expo.02 la location a passé à 15'000 francs. Le restaurateur a mis la clé sous la porte et le propriétaire a offert le bateau à Trivapor pour plus d’un million de francs. Par la suite, il a fait une offre plus convenable, mais Trivapor n’avait pas cette somme. Et le mécène au petit chien a une nouvelle fois avancé l’argent!

Le bateau est acheté en 2007. L’association compte actuellement 4'000 membres.


Notre mécène, Marc Oesterlé, a avancé l’argent pour l’achat de la machine et quand il a vu la machine il l’a offerte. Quand on a acheté le bateau, il a avancé 600'000 francs et quand il a vu le bateau, il les a offerts.

Pour l’aménagement du bateau, le président comptait solliciter les autorités, mais les Bernois se sont désistés parce que ce sont les Neuchâtelois qui allaient exploiter le bateau. Alors les Fribourgeois se sont désistés aussi. Et Marc Oesterlé a fait une nouvelle rallonge.

La fondation s’appelle Trivapor-Marc Oesterlé. Marc Oesterlé était dentiste, mais c’est la fortune de ses parents, chimistes, qui lui a permis de faire ces dons. Il n’a pas d’enfant.


Plan du salon Marc Oesterlé (mécène).

Pendant la vie du Neuchâtel en tant que restaurant, pour gagner de la place, la partie supérieure des roues à aube avait été coupée.


 
Elles ont été reconstituées à Lucerne. Maintenant, les roues ont 5 pales anciennes et 4 nouvelles.

L’Office fédéral exigeait qu'un plan de la coque figure dans le dossier d'homologation. Pour la reconsti-tution au laser, il a fallu démonter tout un côté.

 
Là, on a pu constater qu’il n’y avait pas de rouille.

Bielles sortant du musée, rouillées...
  ...et nettoyées.



 

Retour de la machine dans le bateau.
Moteur restauré.

 

Remise à l’eau, remorquage et mise en marche des machines pour la première fois. La course d’essai a eu lieu dans le lac de Morat.

Quelques informations

Une société navale du lac des Quatre-Cantons a été choisie, parce qu’ils savent s’occuper de bateaux à vapeur. Un entrepreneur de Sugiez leur a mis de la place à disposition, mais il n’y avait pas de rampe pour sortir le bateau. Le Neuchâtel a été remorqué jusqu’à Sugiez. Il a été fait appel à la plus grande grue roulante de Suisse. Arrivée sur 30 camions. La grue supporte 600 tonnes. Coût: 200'000 francs.

Quelque 3 millions de francs de travaux sont revenus à des entreprises de la région. La remise en état du bateau, devisée à 10 millions, a finalement coûté 14 millions, y compris
1 million de TVA.

Le bateau reste la propriété de la fondation Trivapor-Marc Oesterlé, mais il est mis gratuitement à disposition de la société de Navigation.

On peut deviner les communes qui n’ont pas participé au financement: ce sont celles où le bateau ne s’est pas arrêté lors du voyage inaugural! A une exception près: Bienne où le bateau s’est quand même arrêté.

L’Office fédéral a exigé 5 hommes d’équipage: compromis trouvé avec 2 hommes de pont (caisse, accueil) dont un formé aux machines, un homme de cabine et un machiniste.

Pour l’Office fédéral, ce n’est pas un bateau historique parce qu’il n’a pas navigué pendant plus de 40 ans. C’est un bateau neuf... mais centenaire!

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© Musée de l'Areuse, Boudry, 2002
mise à jour: 18 juin, 2015