A l’époque, Olivier Guéniat espère secrètement que le «sadique» restera hors des frontières du Canton. Il donne toutefois des consignes pour le cas où «IL» débarquerait sur Neuchâtel: agir comme s’il s’agissait d’un meurtre, et pour identifier le sadique, faire des prélèvements d’ADN par exemple sur le collier de la vache parce qu’il lui a bien fallu tenir l’animal … Dans les cantons de Bâle et de Soleure, aucune photographie n’a été prise; il n’y a donc aucune preuve.
Plus de 300 articles de presse ont été écrits sur le sujet. Les titres enflamment l’opinion publique. Quelques exemples: «Un zoophile assoiffé de sang» (Le Matin); «Sadique zoophile: nombre d’agressions revues à la hausse» (Le Matin); «Traque du sadique des animaux» (24 Heures); «Le sadique ferait mieux de se rendre» (L’Illustré); «Trois suspects relâchés en Suisse allemande» (Le Matin); «Le psychiatre qui suit l’enquête a indiqué: il pourrait s’en prendre à des humains» (Le Matin); «Et si c’étaient des extra-terrestres?» (La Liberté).
Des personnes ont été mises en garde à vue, les paysans prennent leur fusil et gardent leurs champs.
Que s’est-il passé? Tout est dû à l’effet de contexte!
Olivier Guéniat explique qu’au moment où nous lisons un article ou regardons un reportage à la télévision, nous sommes persuadés que cela existe, il n’y a aucun doute. Nous entendons des gens qui parlent officiellement et qui disent qu’il y a un groupe de sadiques zoophiles. C’est le même mécanisme que dans les affaires «Grégory» ou «d’Outreau». Lorsqu’on lit ces articles on entre dans l’émotionnel. Tout ce qui contredit cette hypothèse n’est pas lu par notre œil. En créant un contexte, on modifie la perception et le comportement. Lorsqu’on est sûr de quelque chose, on ne va prendre que les indices qui corroborent notre conviction et éliminer tout ce qui les contredits. On peut donc mener à l’échafaud des gens parce qu’on est convaincu qu’ils sont coupables. Si on introduit des éléments de réponse dans la question, la personne interrogée va utiliser ces éléments pour répondre. C’est humain et extrêmement dangereux.
Par exemple, on a donné à 350 professeurs des épreuves d’élèves à corriger, en précisant le QI de chaque élève. Les élèves à qui était attribué un QI élevé ont eu des résultats meilleurs que les autres … alors que ces QI étaient inventés.
Les affaires neuchâteloises, en particulier l'âne Coca mort à Couvet
Coca était un âne de 30 ans qui, selon ses maîtres, «faisait partie de la famille». Il était connu dans tout le village, notamment en raison de sa participation active à la fête de Noël. Coca a été retrouvé mort dans son enclos, l'arrière-train mutilé.
Déjà le communiqué de presse de la Police aiguille sur un contexte. Le vocabulaire utilisé reprend des indications du premier rapport de l’agent de police (teinté d’émotionnel) qui donnent l’impression qu’il y a intervention d’un homme: «mutilé avec un couteau». La police a communiqué sans rigueur puisqu’elle a parlé de couteau alors qu’aucune preuve de l’utilisation d’un «objet tranchant» n’était apportée.
En plus des médias, d'autres «experts» s'en mêlent. En particulier, la voyante personnelle de la Reine d’Angleterre est venue sur place. Elle a dit qu’on avait emporté les oreilles et le sexe de Coca pour les fixer au-dessus d'une porte. Or, la verge était toujours là et l’âne était castré!
L'autopsie a conclu que l’âne de Couvet était mort d’un arrêt cardiaque.
Dans cette même période, il y a eu plusieurs cas signalés à la police, notamment des bovidés mutilés: parce qu’il y avait ce contexte, des cas de mort d’animaux dans les champs ont été signalés, alors que cela se passe chaque année et on ne les signale pas quand il n’y a pas de contexte.
Comment mener une enquête en s'affranchissant de l'effet «contexte»?
Méthodologie : partir d'une hypothèse principale et chercher toutes les alternatives possibles.
Pour échapper à cet effet de contexte: chercher les hypothèses alternatives. Si on croit que ça s’est passé comme ça, il faut se demander si cela a pu se passer autrement. Envisager toutes les hypothèses.
Pour l’âne Coca, les hypothèses étaient :
- Intervention humaine
- Automutilation
- Intermutilation
- Mutilation accidentelle
- Mort naturelle avec passage d’un carnivore
- Fraude à l’assurance et imitation
Dans l'équipe de Olivier Guéniat, elles sont affichées aux murs pour qu’on ne puisse plus les oublier. Si elles sont occultées, on part dans l’effet tunnel (donc on ne voit plus rien d'autre que ce en quoi on croit dur comme fer).
Ensuite, il faut récolter des indices corroborant ou infirmant les hypothèses. Chaque indice doit être mis en relation avec chacune des hypothèses.
Les difficultés particulières de cette affaire
Dans la police, on connaît mieux le milieu de la prostitution que celui des bovins, des équins, des caprins, des ovins, etc., surtout les policiers citadins. Un vétérinaire, lui, connaît bien les organes d’un animal, mais il est un soignant. Il n’est pas médecin-légiste pour interpréter les éléments trouvés. Et un médecin-légiste ne connaît rien de l’intérieur d’une vache! Il a donc fallu mettre ensemble plusieurs spécialistes et aller faire des expériences in situ: aux abattoirs, sur des bêtes mortes, ils ont reproduit des coupures avec divers objets tranchants. La meilleure interprétation est l’interprétation collégiale : policier scientifique, vétérinaire, médecin-légiste, spécialiste des prédateurs carnivores, toxicologue, hématologue, etc.
Conclusion et questions
Olivier Guéniat précise tout l'art d'un bon enquêteur: ne pas commenter des affirmations sans preuve, savoir se taire, mettre sur pied une méthodologie appropriée. Mais cela ne correspond pas aux attentes médiatiques! Et de citer François Gross: «dans les médias, on procède par grosses affirmations, sans cultiver initialement le doute».
Représentant les médias locaux, Léo Byssaeth s'est dit persuadé que, encore maintenant, il y a des gens qui pensent qu’il y a eu un sadique zoophile en Suisse. Car, même si la rectification a été faite dans les médias, ça n’a pas le même poids. Et les médias n’ont pas fait la Une de leur tirage avec la rectification.
Ce qui est confirmé par Olivier Guéniat: Il y a eu une conférence de presse, assez bien couverte. Mais c’est un fusil à un coup à mettre en parallèle avec les 300 articles parus sur plusieurs mois. Et l’impact intéresse moins. Le fait divers intéresse (sordide, sanglant et sexuel). Sinon, c’est insipide, inodore et incolore et les gens vont lire la page des sports!
Et pour bien démontrer qu'il faut rester critique jusqu'au bout, Olivier Guéniat ajoute que dans le cas de l’âne, il pourrait y avoir quelqu’un qui soutienne qu’il y avait quand même un sadique, qui a voulu violer l’âne, qui malheureusement est mort d’une crise cardiaque. Ensuite, le sadique l’a violé et un renard a passé, a mordu l’âne à l’arrière-train, enlevant toutes traces du viol!
Le message à retenir dans tout cela: le consommateur d'information ne doit pas prendre pour argent comptant ce qu’il lit, parce que le journaliste peut aussi être victime de l’effet «contexte» et de l’émotion. Et même avec toutes les méthodologies, les erreurs ne sont pas exclues, parce qu’ils reste derrière tout cela des humains.
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